SOPHIE
1976–2008
« La question la plus urgente dans la vie est la suivante : que faites-vous pour aider les autres ? » Martin Luther King Jr.
J’ai vu Sophie pour la première fois dans le zoo qui l’hébergeait. Je me suis sentie triste de la trouver dans cet environnement, et c’était évident que cet endroit n’avait rien à lui offrir. Aucun choix, pas d’intimité et tellement de stress. Sophie était belle, elle avait du caractère et elle était charismatique. Je l’ai beaucoup aimée dès que je l’ai rencontrée. Je vais toujours regretter de ne pas avoir eu l’occasion de mieux la connaître, mais je suis reconnaissante d’avoir pu lui donner le respect qu’elle méritait, même si cela n’a été que pendant peu de temps.
L’histoire de Sophie ressemble à celle tous les chimpanzés qui passent leur vie dans les zoos. Elle et trois autres chimpanzés sont nés au Institute for Primate Studies (Institut pour l’étude des primates), à Norman, dans l’Oklahoma. Ils ont ensuite été vendus à l’Université de Montréal pour des études sur le développement de l’enfant. Après cela, ils ont été placés chez des humains et élevés comme des humains pendant 5 ans. À la fin de l’étude, ils ont été envoyés au zoo de la ville de Québec, au Canada
Ces quatre chimpanzés : Sophie, Spock, Merlin et Maya dépendaient les uns des autres et étaient devenus très proches. Durant leurs cinq premières années, ils ont vécu comme une unité familiale pour une étude non invasive sur l’élevage par des humains. Puis, à l’âge de 5 ans, ils ont été envoyés au zoo de la ville de Québec.
Rien n’était normal dans leur vie, pas les cinq premières années, ni les années subséquentes où ils ont été mis en exposition. La vie en captivité est stressante, difficile et accablante. Au bout d’un certain temps, Merlin est décédé et le groupe a été réduit à trois. Cela a causé des changements ardus dans sa dynamique.
La vie structurée et invasive d’un zoo est difficile pour les chimpanzés. Ils sont exposés au regard des humains jour après jour, ils doivent vivre avec un manque total d’intimité dans un environnement très contrôlé. Tout cela peut causer beaucoup d’anxiété. Les chimpanzés qui sont forcés de vivre ensemble constamment sans jamais pouvoir s’éloigner les uns des autres, sans jamais pouvoir être seuls pour se détendre dans leur espace propre subissent beaucoup de souffrance émotionnelle. Si un des chimpanzés se met en colère, les autres doivent négocier l’espace qu’ils ont, et souvent ils deviennent craintifs et soumis afin d’éviter une bagarre ou subir les séquelles de l’individu en colère si ce dernier passe à l’acte.
Lorsque nous voyons des familles de chimpanzés dans des zoos, nous trouvons que c’est merveilleux qu’ils puissent être tous ensemble. Mais nous devons aussi comprendre que les familles de chimpanzés, tout comme les familles humaines, ressentent du stress si elles sont obligées d’être ensemble jour après jour. Ce type de vie provoque une haute tension artérielle, des maladies causées par le stress, de l’agression ou, inversement, des comportements de soumission et d’auto destruction.
Les maladies dont souffrait Sophie étaient causées par le stress. Elle a été transférée à Fauna en 2007, mais elle est décédée quelques mois plus tard d’un ulcère de 20 cm de diamètre qui avait percé un trou dans son estomac. Elle était la chef du groupe et semblait dominante, équilibrée, forte et bien établie dans son rôle. Mais quelque chose la rongeait de l’intérieur. Elle était en surpoids et elle repoussait les autres pour obtenir ce qu’elle voulait. Sophie aimait passer des moments seule et elle a finalement eu l’occasion de le faire ici, à Fauna. Sauf que cette occasion est arrivée trop tard.
Sophie aimait faire ses propres choix, mais au zoo elle était forcée de s’assoir avec ses mains sur les parois de la cage pendant qu’un humain la nourrissait à la main. Elle n’avait aucun choix et la nourriture était coupée en morceaux, mesurée précisément et servie à un chimpanzé à la fois pendant que les autres regardaient et attendaient. Tout cela est très humiliant pour un animal qui normalement fait beaucoup de choix, et cela cause un stress tellement inutile. C’est bouleversant. L’anxiété et le stress quotidien de Sophie ont certainement été causés par la manière si contrôlée et inappropriée utilisée pour la nourrir, elle qui était un chimpanzé adulte. Il aurait été bien mieux de séparer les trois chimpanzés, leur servir leurs repas et les laisser manger à leur guise, sans qu’ils aient à négocier. La nourriture est une nécessité et non un luxe pour un animal en captivité. Elle devrait être offerte librement. On devrait donner aux chimpanzés des repas « gratuits » et leur permettre de se détendre et d’apprécier leur nourriture. Cela est une partie essentielle de leur journée.
Le mode de vie imposé à ces chimpanzés leur causait beaucoup de frustration et d’anxiété. C’est cela qui a finalement causé la mort de Sophie. La vie en captivité est dure. Être exposé constamment à la vue du public, être privé de nourriture abondante, ou être privé de nourriture à moins de donner quelque chose en retour, et être forcé de manger ce que les humains décident de servir, toutes ces choses causent de l’inquiétude.
Les chimpanzés ont besoin de calme, ils doivent pouvoir faire des choix, ils méritent du respect et ils ont droit au libre arbitre. Quand on leur témoigne de la considération, ils coopèrent. Tant d’endroits où les chimpanzés vivent en captivité ne tiennent pas compte des émotions de ces animaux et ne comprennent pas les messages qu’ils envoient lorsque nous essayons de les manipuler. Ces êtres ne nous appartiennent pas et nous ne devons pas les contrôler. Ils ont des droits, des désirs et ils doivent pouvoir faire des choix. Ils ne devraient jamais être obligés de négocier pour obtenir les nécessités de base de la vie comme la nourriture et l’eau. Ces besoins primaires sont souvent utilisés pour contrôler tous les animaux en captivité. C’est mal et cela cause du tort. C’est en fait une punition des plus cruelles, et de nombreux chimpanzés en sont victimes tous les jours.
Personnellement, j’ai beaucoup de difficulté à voir des animaux en captivité sans nourriture près d’eux. Je comprends les inquiétudes de ceux qui pensent qu’un animal va engraisser si de la nourriture est disponible en tout temps. Pourtant, dans notre monde à nous, nous avons des armoires de cuisine et des frigos pleins de nourriture et nous ne sommes pas tous en surpoids. Être en captivité cause de l’ennui et manger est quelque chose d’agréable. Je veux offrir de la nourriture à ceux dont je m’occupe et je veux qu’ils n’aient jamais faim. C’est ainsi que je suis et c’est ce que je crois.
Le seul sanctuaire de chimpanzés au Canada
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