DONNA RAE
1966–2005
Quand j’ai rencontré Donna Rae pour la première fois, j’ai eu un choc. Elle avait l’air humaine : ses manières, sa posture et tous ses gestes étaient ceux des humains. Je me souviens de m’être sentie gênée et coupable d’être devant sa cage minuscule. J’avais aussi peur d’établir un contact avec elle de crainte qu’elle ne voit mon fort intérieur. Je n’aurais alors pas pu expliquer pourquoi elle avait abouti là. Je ne comprenais pas comment quelqu’un pouvait la prendre, l’emprisonner et lui faire tant de choses horribles. Elle et moi savions qu’elle ne devait pas être dans cette cage. Elle avait été trompée et trahie. Et, elle le savait.
Donna Rae avait vécu une situation très triste et inquiétante mais très commune pour les chimpanzés. Elle avait été élevée dans un environnement humain en tant qu’enfant humain. Dans certains de ces cas, ces chimpanzés sont non seulement élevés par des adultes humains, mais ils sont aussi élevés avec un enfant comme compagnon, comme une sœur. Tel avait été le cas de Donna Rae.
Ce type d’éducation s’est avéré à maintes reprises être tragique et désolant. Il s’agit en effet d’un environnement non naturel pour un jeune chimpanzé. Non seulement cette éducation place l’animal dans un des environnements les plus impitoyables possibles, mais elle a aussi des effets adverses sur les humains.
Au fil des années nous avons lu et été témoins de nombreux cas où des chimpanzés ont vécu de cette manière. Certains étaient dans des « environnements de recherche », où l’on étudiait leur développement, d’autres dans des situations accidentelles et non planifiées, comme celle de Donna Rae.
Donna Rae s’est retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment, achetée bébé, très probablement en Afrique. Elle a été échangée et placée chez Elizabeth Hammond et le Animal Kingdom Talent Services, qui sont des « amis des animaux » et détiennent une variété de créatures exotiques allant des ours aux éléphants. Donna Rae allait faire partie de cette collection. Elle allait servir à attirer l’attention et à générer des fonds, à condition qu’elle fasse quelque chose d’intéressant.
Elle était jeune et avait besoin de beaucoup d’attention. La chose la plus facile a été de la placer avec le jeune enfant de la famille pour que les deux s’amusent ensemble. On pensait réduire ainsi le stress du bébé chimpanzé qui avait besoin de bien plus d’attention qu’on pouvait lui donner. Les deux filles ont alors grandi ensemble : elles jouaient ensemble, mangeait ensemble, portaient les mêmes robes et souliers, ont appris à faire de la bicyclette et dévalisaient le frigo grâce aux longs bras de Donna Rae. Éventuellement elles sont devenues des amies inséparables. Elles étaient en un sens des sœurs. Jusqu’au jour, ce fameux jour qui arrive immanquablement, où Donna Rae est devenue plus forte et plus dangereuse. Elle n’était pas méchante ni violente. Elle était simplement un jeune chimpanzé qui atteignait sa maturité sexuelle et changeait. Elle ne pouvait plus vivre avec un enfant humain.
Donna Rae a alors été enfermée et n’avait plus l’occasion de jouer avec sa sœur humaine et son amie sans qu’il n’y ait des barreaux entre elles. Évidemment elle ressentait de la colère. Elle était blessée et confuse. Tant de chimpanzés élevés de cette manière sont très traumatisés et demeurent confus et perdus à jamais. Ils sont coincés entre deux mondes : celui des humains et celui des chimpanzés. Souvent ils n’ont jamais rencontré un autre de leur espèce, vivant des années dans jamais avoir même vu un autre chimpanzé. Quand ces animaux du privé rencontrent d’autres chimpanzés, ils n’ont aucune idée de qui sont ces créatures et comment communiquer avec elles. Ils ont énormément de difficulté à vivre et à socialiser avec des familles d’autres chimpanzés.
Il est rare de voir des chimpanzés élevés chez des humains finir dans des zoos puisque ces endroits ne veulent pas que leurs animaux aient des comportements humains. Ils préfèrent les comportements « naturel », comme si cela peut se produire dans des environnements artificiels. Malheureusement, à cette époque, les propriétaires de ces chimpanzés n’avaient d’autres choix que d’envoyer leur animal dans des établissements de recherche. Il n’y avait pas beaucoup de sanctuaires et ceux qui existaient étaient complets. Par contre, les laboratoires acceptaient toujours les chimpanzés élevés par des humains. De nos jours, les sanctuaires font de leur mieux pour placer le plus possible de ces chimpanzés qui proviennent de chez des humains. Mais dans certains cas nous préférons les laisser dans le foyer où ils se trouvent si on s’occupe bien d’eux parce que nous savons combien il peut parfois être difficile pour ces chimpanzés de s’adapter à la vie d’un sanctuaire avec d’autres de leurs semblables.
Donna Rae avait 12 ans quand Elizabeth Hammond l’a vendue au laboratoire LEMSIP (Laboratory for Experimental Surgery and Medicine in Primates) pour 1 000 $. La transaction indique que Elizabeth Hammond a livré Donna Rae le 4 janvier 1978 et que le chimpanzé est entré au laboratoire en marchant ! Le laboratoire avait promis à Mme Hammond que Donna Rae serait nourrie avec ses aliments favoris, sortirait pour faire des marches et serait placée dans le programme de « reproduction » plutôt que dans celui de la recherche biomédicale invasive.
Mais Donna Rae n’est pas sortie de sa cage et n’est pas allée faire des marches. On ne lui a pas donné de sandwiches au beurre d’arachide et à la confiture. Elle a plutôt été utilisée pour la pire de toutes les recherches. On l’a en effet infectée avec le virus du VIH et on lui a fait subir les procédures les plus horribles qui soient pendant 19 longues années. Donna Rae a été soumise à une cruauté inimaginable émotionnellement et physiquement. Elle est arrivée au laboratoire quand elle avait 12 ans et elle y a vécu les 19 années suivantes dans une cage de 5 x 5 x 7 pieds (1,50 x 1,50 x 2 mètres). Lorsqu’elle est arrivée à Fauna, nous avons eu l’honneur de l’avoir pendant seulement huit courtes années.
La « sœur » humaine de Donna Rae ne savait pas où cette dernière avait été envoyée. Ce n’est que plusieurs années plus tard, en faisant une recherche sur Internet, qu’elle a appris où elle avait abouti. Elle m’a contactée pour me raconter son histoire et je lui ai été reconnaissante de m’avoir donné les renseignements manquants et de m’en avoir dit davantage sur le passé de Donna Rae. Elle m’a aussi raconté tout l’amour qu’elle et son chimpanzé partageaient. La fin de cette histoire a été tellement tragique.
Donna Rae était douce et affectueuse et faisait confiance aux humains parce qu’elle avait été une « personne » au début de sa vie. C’est inimaginable de penser qu’elle a été enfermée et utilisée pour la recherche pendant tant d’années. Elle a vécu seule dans une petite cage sans amis et sans moyen de s’en sortir. Durant 19 ans elle a été soumise à de nombreuse procédures médicales très douloureuses, y compris des examens vaginaux tellement invasifs qu’ils la mettaient en état de choc médical.
Pour Donna Rae, les seuls moments où elle n’était pas seule, c’était quand on la forçait à supporter les visites de chimpanzés mâles qui essayaient de s’accoupler avec elle. Elle n’a jamais eu d’enfants et n’a jamais toléré que des mâles l’importunent. Elle adorait ses meilleurs amis à Fauna : Sue Ellen, Pepper et Annie. Elle trouvait aussi du réconfort dans ses relations avec Pablo, Yoko et Tom.
L’histoire tragique de Donna Rae se répète avec tant d’autres chimpanzés. Nous ne devons jamais oublier que lorsque des gens élèvent un chimpanzé pour le plaisir et pensent qu’ils peuvent bien s’en occuper, cette expérience finira mal dans la plupart des cas. Les chimpanzés doivent vivre avec d’autres de leur espèce et nous devons rester conscients de cela. Autant que possible, nous devons les placer avec d’autres chimpanzés.
Donna Rae était coincée entre le monde des humains et celui des chimpanzés, destinée à ne jamais pouvoir s’intégrer à l’un ni à l’autre de ces mondes.
« La force véritable n’est pas simplement l’état de nos muscles. C’est plutôt une tendresse dans notre âme. » McCallister Dodds
Le seul sanctuaire de chimpanzés au Canada
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