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Notre action

In memoriam

BILLY JO

BILLY JO

1969–2006

Lorsque j’ai rencontré Billy Jo pour la première fois, j’ai été frappée par sa vulnérabilité mais aussi par sa force. La contradiction était le propre de Billy. On l’aimait et on le craignait. Il avait deux personnalités. Je l’avais surnommé « Bear » (ours) à cause des moments où il était féroce, et de ceux où il était chaleureux et affectueux. C’était un nom qui lui allait bien.

L’histoire de Billy Jo est profondément tragique. Elle se caractérise par la perte, la confusion, la dépression et l’agression. Billy Jo avait un passé complexe qui comprenait le cirque, de nombreuses familles d’accueil et, finalement, le sanctuaire.

Tous les chimpanzés élevés dans le seul but de divertir les humains sont traités, habillés et nourris comme des humains. Ce n’est donc pas étonnant qu’ils se comportent comme des humains. Ils n’apprennent pas le comportement des chimpanzés, et si jamais ils utilisent ce type de comportement, ils sont punis ou dissuadés de s’en servir. En fait, ils deviennent bizarres, incapables de communiquer convenablement avec qui que ce soit, et surtout avec ceux de leur espèce. Éventuellement, cela leur cause beaucoup d’anxiété et les conséquences sont horribles.

Le 8 septembre 1983, Robert Heath a vendu Billy Jo et sa compagne Sue Ellen au centre médical de la New York University, plus précisément, au Laboratory for Medicine and Surgery in Primates (LEMSIP). Les deux chimpanzés avaient 15 ans et Robert Heath n’avait plus les moyens de s’en occuper. Ils sont entrés dans leur cage main dans la main, sans jamais se douter que c’était la dernière fois de leur vie qu’ils allaient être libres.

« La triste vérité est que presque tout le Mal est fait par des gens qui ne se décident jamais à être soit bons, ou soit mauvais. » Hannah Arendt

Dans les sanctuaires, il est souvent plus difficile d’aider les chimpanzés qui viennent d’endroits comme les laboratoires : les parias qui ne sont ni acceptés ni compris. Ils souffrent beaucoup dans tous les environnements, incapables de s’y tailler une place. Parfois ils vont s’entendre avec un petit groupe sélect de chimpanzés qui se sont adaptés à leurs différences.

Billy Joe souffrait. Il était déprimé. Sa tête était souvent penchée sur sa poitrine par tristesse. En cela, il ressemblait aux autres chimpanzés qui viennent d’environnements similaires. Les victimes du monde du spectacle souffrent profondément et cette industrie se doit de changer. Nous maintenons cette industrie bien vivante en commanditant les films, les annonces, les produits et les évènements qui utilisent des chimpanzés. La vérité n’est pas toujours visible et ce n’est que des années plus tard que nous apprenons à quel point ce type de vie est dommageable pour les chimpanzés. Leur souffrance est bien réelle.

Billy Jo a passé les premières 15 années de sa vie à vivre comme un enfant humain. On le faisait sortir, il allait à la pèche avec les gars, on l’emmenait pour manger une crème glacée, il portait des vêtements et des casquettes de baseball. Il était comme un enfant… sauf qu’on lui avait arraché toutes ses dents.

Le chapitre suivant dans la vie de Billy a commencé quand il est entré dans la cage où il allait passer les 15 années suivantes de sa vie. Tout a alors changé ! L’espèce humaine qu’il avait appris à aimer, en qui il avait confiance et de qui il dépendait allait le torturer, lui lancer des dards, lui faire des injections et lui faire mal, et ce jour après jour après jour.

Billy Jo allait devenir un sujet de recherche, envahi et sondé régulièrement. Ils l’ont infecté avec le virus du VIH, la plus cruelle des maladies. Il a alors été condamné à l’isolement et il a été séparé de ceux qu’il considérait comme siens : les humains. Une fois qu’un chimpanzé a été infecté par le VIH et qu’on s’attend à ce qu’il en meurt, il doit être gardé loin des humains par peur de transmission du virus. C’est du moins que l’on pensait au début de ces études.

Tous les chimpanzés infectés étaient isolés dans des petites unités fermées, sans lumière du jour ni air frais. Ils étaient forcés de vivre dans des cages terriblement petites (5 x 5 x 7 pieds, ou 1,50 par 1,50, par 2 mètres). Les conditions étaient aussi des plus inhumaines. Billy Jo mesurait 4 pieds 5 pouces (1,40 mètre) et pesait 190 livres (86 kilos). Il pouvait à peine bouger pour faire un peu d’exercice, et ne pouvait même pas étendre complètement ses bras. Il allait vivre dans cette minuscule cage pendant 15 ans ! Il était incapable de communiquer avec un ami humain, incapable de voir plus loin que les barreaux de sa cage, incapable de trouver le moindre réconfort dans ce monde d’acier, de noirceur et de désespoir. Il en a presque perdu la raison.

Billy aimait les humains et comptait beaucoup sur eux pour avoir de l’amitié, du soutien et de l’aide. Mais ce qu’il obtenait n’était pas toujours ce qu’il voulait. Un certain nombre de techniciens et de personnel qui travaillait à LEMSIP connaissaient Billy. C’était un chimpanzé qui attirait l’attention et se faisait des amis. Pourtant, s’il pouvait être gentil est agréable, il pouvait aussi devenir coléreux, méchant, violent, agressif et pas coopératif. Il ne faisait plus confiance à personne. Il avait perdu sa foi dans les humains et il était profondément triste. Sa dépression et son comportement imprévisible le rendait très dangereux.

L’histoire de Billy Jo n’est pas unique. Il y a de nombreux chimpanzés dans les laboratoires de recherche ou dans les sanctuaires qui ont ce même vécu. Il s’agit alors de chimpanzés qui sont en colère, déprimés, imprévisibles, mais qui peuvent aussi être gentils, aimants et dépendants. Nous essayons de faire beaucoup de choses pour ces individus, mais c’est souvent difficile de les aider. Ils sont généralement rejetés ou pas appréciés dans les groupes sociaux parce qu’ils peuvent être menaçants et incapable de créer des amitiés. Ils doivent être constamment aux aguets par peur que l’un de leurs congénères décide qu’il en a assez.

Souvent Billy se rapprochait d’un autre chimpanzé pour ensuite le trahir et l’attaquer, ce qui déclenchait une attaque en retour. Les chimpanzés s’attendent à de la loyauté et à une certaine étiquette sociale. Ils s’attendent à des excuses et un pardon lorsqu’une altercation survient. S’ils ne l’obtiennent pas, la bagarre continue.

Billy était incapable de répondre de manière appropriée et a donc été forcé de vivre dans la solitude. Nous avons dû l’aider. Il était incapable de rester dans un groupe social pendant longtemps, et s’il était dans un tel groupe, il se battait très souvent. Il choisissait alors de fermer la porte de sa chambre pour être seul et il dépendant davantage des humains. Cela le mettait de nouveau dans un monde complexe, un monde de confusion dans lequel il n’était pas sensé vivre.

Billy et tant d’autres comme lui ont beaucoup souffert. Nous étions incapables de lui donner ce dont il avait besoin et les pertes qu’il a subies dans sa vie n’étaient vraiment pas nécessaire. Sa participation dans la recherche n’a jamais été validée. Il faisait partie d’une étude qui n’a donné que des résultats et de l’information non concluants. Toutes ces années passées derrière des barreaux et toutes ses souffrances n’ont servi à rien.

Quand je vois un chimpanzé à la télévision, sur une carte de souhaits, ou aux mains d’un entraineur qui prétend protéger l’espèce, je pense au cher Billy, à ses tourments et à tout ce qu’il a perdu. Je n’oublierai jamais ce bonhomme spécial ni tous les autres comme lui. Ces jeunes acteurs ou animaux de compagnie qui eux aussi finiront comme Billy, seuls, coincés entre le monde des humains et celui des chimpanzés, inadaptés à l’un et à l’autre, et à jamais perdus.

Souvenez-vous de Billy et assurez-vous que nous ne répétions pas ces erreurs. Nous lui devons au moins cela, à lui et aux autres comme lui.

Nous pouvons et nous devons vraiment faire quelque chose !

Le seul sanctuaire de chimpanzés au Canada

...depuis 1997!

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